Louis ou la fabrique d’un drôle de genre, Christine Voegel-Turenne
Une drôle de fabrique pour de drôles de genres, une utopie légèrement dystopique qui fait s’interroger sur aujourd’hui et un peu demain…
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Ce roman me fut envoyé dans le cadre d’une opération Masse Critique du site Babelio afin que je puisse vous en parler.
Le titre peut sembler trompeur en parlant d’une “fabrique d’un drôle de genre” car ce n’est pas un livre amusant ou humoristique et je dois avouer m’être trompé sur le sens que le terme “genre” peut avoir vraiment car ce roman d’anticipation traite de libertés individuelles diverses dont celles de disposer de sa vie et de choisir son genre.
En l’an 240 de la Nouvelle Ère, grâce à l’avancée des biotechnologies, l’homme a réussi à soumettre la nature à ses désirs. Au seuil d’un transhumanisme qui se fait de plus en plus officiel, l’obscure ligue Émeraude menace cette nouvelle liberté, et nul ne sait jusqu’où elle peut aller…Louis, fabriqué comme le pur fruit de ces nouvelles normes, porte fièrement à l’âge de sa maturité sa filiation multiple. Malgré les déterminismes, la rencontre d’étranges personnages – le vieux sage Adrien ou l’énigmatique Alex – suscite en lui bien des interrogations et réveille son intelligence. Avec sa demi-s?ur Lucie, il décide de partir à la recherche de ses origines et de son identité profonde.
Un roman d’anticipation haletant sur la condition humaine. Un récit sur une société utopique, achèvement des désirs de perfection de notre temps.
Dans cette anticipation proche, la “Nouvelle Ere” débutant avec le Calendrier Républicain en 1792, l’an 240 se situe en 2032 et la société a subi plusieurs changements profonds dans son fonctionnement et dans sa mentalité. Ainsi, la recherche dans l’égalité des couples a permis de légaliser les mères porteuses dans une procédure sobrement surnommée la GPA (Gestation Pour Autrui) à laquelle tous les couples peuvent accéder à partir de 2 ans d’existence officielle si celui-ci est “dans l’impossibilité de procréer par lui-même”. Pour les futurs parents de Louis, ce fut tout prouvé, étant tous deux des hommes.
Le roman se découpe en plusieurs périodes, séparés l’une de l’autre par des ellipses de 5 ans et chacune présentant autant le développement de la société et l’acquisition de nouvelles libertés dans une démarche volontaire et forcée de recherche du bonheur que l’histoire de Louis, jeune homme à l’avenir souriant, venu au monde car ces deux pères se sont mariés librement, ont librement désiré un enfant et l’ont librement élevé suivant leurs choix, avec l’aide et la bénédiction du Régime.
Mais le roman va plus loin et explore toutes sortes de libertés que ce Régime, assez totalitaire sur la fin du roman, offre à ses compatriotes : la liberté de choisir son genre, la liberté d’en changer, la liberté de former un couple, la liberté de former un trouple, la liberté de se marier dans n’importe quelle combinaison de genres de son choix, la liberté égale pour tous d’avoir un enfant mais également le droit de renoncer à la vie.
On voit également le changement des mentalités, périodes après périodes. Ainsi, si on apprend qu’il serait mal vu que le jeune Alex reste neutre trop longtemps et ne se décide pas rapidement sur son genre pendant l’une d’elle, la suivante nous apprend que le genre “neutre” est officiellement légal et a des droits identiques aux autres genres. Un autre changement, si la GPA est initialement réservée aux couples incapables de procréer, elle est vite généralisée et il devient inconvenant de porter soi-même son enfant, puis, par la suite, il devient inconcevable de ne pas choisir les gènes de son futur enfant sur le catalogue de l’agence de reproductique officielle. Il est également devenu normal de se rendre dans un “Centre du Bonheur” afin d’y recevoir la drogue correspondant à son état psychologique et prescrite par un hédonologue assermenté. Et la recherche du bonheur est si importante qu’il est demandé aux VicA, les Victimes de l’Âge, de ne plus se montrer, de vivre cachés ou d’avoir la décence de demander une euthanasie afin de ne plus imposer leur présence aux bien-portants à qui ils ne peuvent que nuire à leur recherche du bonheur. Et si une blessure ou une maladie devait diminuer une personne, elle serait invitée à suivre le même chemin, traitée en paria de la société, tout juste admise à y garder sa place.
Mais toutes ces nouvelles libertés, tous ces nouveaux droits, cachent bien des choses et cette utopie d’un monde né du croisement entre 1984 et Le Meilleur des Mondes pourrait bien être, au final, une vraie dystopie où le Régime tient sous son contrôle tous les individus de leur naissance à leur mort et broient sous ses rouages meurtriers les déviants politiques et opposants en tout genre, alimentant au besoin une menace fabriquée pour assoir son pouvoir.
Cette menace prend la forme de la ligue Emeraude, groupement officiellement terroriste ayant commis les crimes les plus atroces contre le Régime et les populations libres pour défendre leurs idéaux vieillots et rétrogrades issus des siècles passés issus de livres interdits (c’est-à-dire publiés avant les 20 dernières années). En réalité, la ligue Emeraude est accusée à tort par le gouvernement car ses membres tiennent plus de la confrérie hippie écologiste et pacifiste que d’une organisation décidée à jouer avec des explosifs. Et c’est auprès d’eux que Louis trouvera l’aide dont il a besoin pour accomplir la quête qu’il s’est donné : retrouver sa mère (biologique ou porteuse, il ne le sait pas lui-même) alors même que le terme de mère n’est plus utilisé, tombé dans le tabou presque total, remplacé par le terme plus générique de parent.
Je disais en ouverture que le terme “genre” avait une importance dans le roman car c’est une notion récurrente : homme, femme ou neutre, les trois genres acquièrent les mêmes droits et la même liberté au fil des pages et du temps. Les libertés individuelles sont si vastes que Alex est élevé en neutre et choisit un genre à ses 5 ans en devenant Alexia puis Alexandre, quelques années plus tard en réalisant son “erreur” avant de décider qu’il n’a pas choisi de venir au monde et qu’il ne consent pas à continuer de vivre en choisissant, à 15 ans, l’euthanasie librement consentie. Les égalités de genres font également disparaître tous les termes genrés tels que père, mère, frère ou soeur qui deviennent simplement parent et froeur.
Ainsi, page après page, période après période, le roman se fait s’interroger sur les égalités de genres actuelles et sur ce que le futur pourrait nous réserver. Une lecture aussi plaisante et enrichissante que profonde. J’avais choisi ce roman qui traitait de transhumanisme et je n’ai pas regretté mon choix que j’ai apprécié dès la première page.
N.B. : petite surprise en dernière page, “Fin du premier tome” alors que rien ne l’annonçait…